Comment évaluer la charge anticholinergique ?
Les personnes âgées, généralement polymédiquées et considérées comme des personnes fragiles, sont les plus à risque de développer des effets indésirables médicamenteux. À ce risque iatrogénique général, il faut ajouter l’augmentation du risque de syndrome anticholinergique. Les personnes âgées sont en effet plus sensibles aux médicaments anticholinergiques. À titre d’exemple, d'après une étude du National Institute on Aging américain, la prise régulière de traitements anticholinergiques doublerait le risque de survenue de troubles cognitifs chez les personnes âgées par rapport à celles qui n’en prennent pas (1). Mais concrètement, que sont les médicaments avec un effet anticholinergique ? Qu’est-ce que la charge anticholinergique ? Comment et pourquoi l’évaluer ? Existe-t-il un outil pratique et facile d’utilisation pour évaluer cette charge ?
Sommaire
Le syndrome anticholinergique : comprendre les effets secondaires des médicaments
Avant d’aller plus en détails sur la charge anticholinergique et comment la calculer, il est important d’appréhender le syndrome anticholinergique, également connu sous le nom de syndrome atropinique. Il s’agit d’un ensemble d’effets dus au blocage des récepteurs de l’acétylcholine par une substance antagoniste, type atropine. Lorsque plusieurs substances anticholinergiques sont associées, leur effet s’additionne, ce qu’on appelle la charge anticholinergique. Bien que certains effets atropiniques soient exploités en thérapeutiques, d’autres, lorsqu’ils ne sont pas attendus, sont dangereux pour la santé des patients et doivent être évités.
Il existe de nombreux médicaments ayant des propriétés anticholinergiques, appartenant à des classes thérapeutiques variées. Si certains, du fait de leur indication, sont d’emblée manipulés et prescrits avec précaution (comme les antiparkinsoniens), d’autres peuvent sembler bien plus inoffensifs dès lors qu’ils sont utilisés pour des affections courantes ou même accessibles sans ordonnance en pharmacie. Le personnel soignant doit donc se montrer vigilant lors d’une prescription, mais également prendre en compte tous les médicaments que le patient est susceptible de prendre en automédication, particulièrement pendant la vérification des interactions médicamenteuses à l'admission à l'hôpital.
Qu’est-ce que la charge anticholinergique ?
De nombreux médicaments couramment utilisés ont un effet atropinique, plus ou moins fort. Pour rappel, lorsque plusieurs médicaments ayant un effet anticholinergique sont pris ensemble, leur effet s’additionne, ce que l’on appelle la charge anticholinergique. Cela se traduit par différents symptômes cliniques, qui reflètent les mécanismes mis en jeu au niveau du système nerveux, plus particulièrement le système nerveux autonome.
Le fonctionnement du système nerveux autonome
Le système nerveux autonome est responsable des fonctions indépendantes de la volonté, telles que :
- La sensibilité viscérale,
- La thermorégulation,
- La régulation vasomotrice,
- La régulation de la fréquence cardiaque et de la tension artérielle,
- La régulation respiratoire,
- La fonction digestive,
- La fonction urinaire,
- La régulation de la contraction pupillaire,
- La trophicité de la peau, des phanères et des articulations et la sexualité.
Il est composé du système nerveux sympathique et du système nerveux parasympathique, deux systèmes aux actions opposées. Le système nerveux parasympathique est plutôt responsable d’une relaxation générale des fonctions de l’organisme, à l’inverse du système sympathique qui entraîne des modifications organiques en réaction à une situation de stress. L’acétylcholine est le neurotransmetteur principal du système nerveux parasympathique. Elle se lie d’abord aux récepteurs nicotiniques des synapses pré-ganglionnaires, puis c’est sa liaison aux récepteurs muscariniques au niveau des synapses post-ganglionnaires qui entraîne une réponse de l’organisme.
Les effets cholinergiques se traduisent au niveau périphérique par :
- Bradycardie ;
- Miction ;
- Péristaltisme intestinal ;
- Sécrétion salivaire et lacrymale ;
- Bronchoconstriction ;
- Myosis.
Les effets des médicaments anticholinergiques
Les antidépresseurs, les antihistaminiques H1, les neuroleptiques, les antiparkinsoniens, les antispasmodiques, les antipsychotiques ont un effet anticholinergique. Ils ont donc un effet opposé à celui de l’acétylcholine, à savoir, au niveau périphérique, tachycardie, rétention urinaire, constipation, xérostomie et xérophtalmie, bronchodilatation et mydriase.
Au niveau central, confusion, désorientation, délires, hallucinations, agitation, irritabilité, agressivité, troubles amnésiques et démence peuvent être le signe d’un syndrome anticholinergique. Tous ces symptômes sont susceptibles de survenir à plus ou moins forte intensité chez les patients traités par un médicament anticholinergique. Plus le patient prend de substances de ce type, plus le risque de survenue de ces effets est élevé.
L'utilisation de médicaments anticholinergiques chez les personnes atteintes de la maladie de Parkinson peut également avoir des effets défavorables sur les futurs critères de jugements cliniques chez les individus présentant une démence (2).
Les dangers des médicaments anticholinergiques chez les personnes âgées : prudence nécessaire
En moyenne, les personnes âgées reçoivent 7 médicaments différents pour traiter 7 affections différentes au moins trois fois par an (3). Parmi les médicaments, les anticholinergiques posent un défi particulier pour les gériatres ou autres soignants qui prescrivent des médicaments aux personnes âgées en raison de leur charge anticholinergique. Chez les seniors, ces médicaments peuvent entraîner des effets indésirables, notamment une augmentation du risque de confusion, de chutes et de troubles de la mémoire.
Pourtant, 50 % des sujets âgés utiliseraient au minimum 1 traitement ayant possiblement des propriétés anticholinergiques (source : Société de Pneumologie de Langue Française).
Dans le même cadre, lors d’un état des lieux régional mené par L’OMEDIT Pays de la Loire en 2019 (4) sur l'utilisation des psychotropes potentiellement inappropriés chez les personnes âgées hospitalisées en psychiatrie, il a été constaté que parmi les 65 patients diagnostiqués comme déments et/ou présentant un syndrome confusionnel, 26,2 % (soit 17 patients) recevaient au moins un médicament avec des propriétés anticholinergiques.
Il est donc essentiel d'être attentif à la prescription et à l'utilisation de médicaments anticholinergiques chez les personnes âgées, afin de minimiser les risques associés à ces traitements, et savoir réévaluer la prescription pour arrêter les médicaments dangereux.
Quand évaluer la charge anticholinergique ?
Évaluation de la charge anticholinergique : quand est-il approprié de le faire ?
Aujourd’hui, il est recommandé par le Système de Santé, notamment l'Omedit Pays de la Loire (5) de calculer la charge anticholinergique dans les situations suivantes :
- Avant l'introduction d'un médicament anticholinergique, en particulier en cas d'association de plusieurs médicaments de ce type,
- En cas d'apparition d'effets indésirables anticholinergiques tels que ceux cités il y a quelques lignes.
Ces mesures permettent d'évaluer et de surveiller attentivement l'impact de ces médicaments sur le patient, en minimisant les risques associés à la charge anticholinergique. Comme expliqué plus haut, certains médicaments anticholinergiques étant en vente libre, nous rappelons qu’il est essentiel de demander aux patients quel est l’ensemble des médicaments ingérés, notamment durant la conciliation médicamenteuse d’entrée à l’hôpital.
De quelle façon calculer la charge anticholinergique ?
De nos jours, la charge anticholinergique est évaluée à l'aide de cinq échelles d'évaluation qui classent les médicaments en fonction de leur potentiel anticholinergique (6 et 7) :
- Anticholinergic Drug Scale ADS,
- Anticholinergic Risk Scale ARS,
- Anticholinergic Cognitive Burden ACB,
- Anticholinergic Impregnation Scale AIS (ou CIA, Coefficient d’Imprégnation Anticholinergique),
- Clinical rated Anticholinergic Score (CrAS) (8).
Ces échelles permettent de mesurer l'effet anticholinergique cumulatif, offrant ainsi une méthode pour évaluer la charge totale imposée par les médicaments sur le système cholinergique. Cet effet cumulatif est obtenu en additionnant le score, de 0 à 3, de chaque médicament.
Quelles sont les échelles d’évaluation de la charge anticholinergique ?
Les échelles ADS, ARS et ACB sont les premières échelles à avoir été élaborées. Elles concernent majoritairement les effets anticholinergiques centraux. Elles présentent parfois des différences entre elles, et ne sont pas exhaustives, donc difficilement utilisables en clinique.
L’échelle CIA a été élaborée à partir des trois échelles précédentes, de données de la littérature et d’avis d’experts. Elle présente l’avantage, par rapport aux autres, de référencer des molécules françaises habituellement prescrites en psychiatrie qui n’étaient jusque-là pas mentionnées dans les autres échelles. De plus, elle est basée plus particulièrement sur les effets anticholinergiques périphériques.
En France, l’échelle CIA de Briet et al. est la plus utilisée pour évaluer les effets indésirables anticholinergiques, et l’échelle ACB de Boustani et al. pour les effets indésirables anticholinergiques centraux. La charge anticholinergique est considérée élevée ou significative en fonction du score total obtenu, à savoir respectivement 5 et 4. Après calcul de ce score, réévaluer la prescription et rechercher des alternatives aux médicaments à plus fort potentiel anticholinergique sont les premières actions à mettre en œuvre.
S’armer d’outils digitaux pour évaluer la charge anticholinergique des médicaments
Pour gagner du temps au quotidien et se concentrer sur leurs patients, les soignants possèdent également des ressources supplémentaires pour les accompagner. Par exemple, un outil de recommandations thérapeutiques comme la solution Posos, créée par des pharmaciens.
L’outil va questionner simultanément plusieurs scores de charge anticholinergique pour identifier dans une ordonnance les médicaments susceptibles de provoquer un syndrome anticholinergique en se basant sur les différentes échelles existantes. Instantanément, le soignant est alerté si cette situation se présente afin qu’il puisse adapter la prescription, si besoin. Plus précisément, l’outil est en mesure de calculer l’impact de la charge anticholinergique sur le système périphérique et le système central d’après divers scores. Risque d’erreurs minimisé, gain de précision et de temps.
En conclusion, il est important de prendre en compte la charge anticholinergique lors de la prescription de médicaments, car elle peut avoir des conséquences néfastes sur la santé, en particulier chez les personnes âgées. Bien que ces médicaments soient utiles pour traiter diverses affections telles que les allergies, la dépression ou l'incontinence, il est crucial de surveiller attentivement les effets indésirables (EI) potentiels. L'augmentation du risque de confusion, de chutes et les troubles de la mémoire sont parmi les effets indésirables couramment associés à la charge anticholinergique. Une approche individualisée et une surveillance régulière sont essentielles pour minimiser les complications potentielles et assurer une meilleure qualité de vie pour les patients concernés.
Sources de l’article :
- Alzheimer’s association : “Long-term anticholinergic use and the aging brain”, 2012 : lien
- Pharmacomédicale.org “Anticholinergiques”, 2019 : lien
- La Société Française de Gériatrie et Gérontologie (SFGG) et le Conseil National Professionnel de gériatrie (CNP), Guide PAPA (Prescriptions médicamenteuses adaptées aux personnes âgées) : lien
- L’Omedit Pays de la Loire en 2019, Campagne régionale : évaluation de la charge anticholinergique des prescriptions médicamenteuses des personnes âgées hospitalisées, 2019 : lien
- Omedit Pays de la Loire, “Médicaments anticholinergiques chez le sujet âgé : Les bons réflexes de prescription”, 2021 : lien
- Geronto Prevention, “Évaluation de la charge anticholinergique en gériatrie à l’aide de 3 échelles”, 2013 : lien
- PubMed, “Cumulative anticholinergic exposure is associated with poor memory and executive function in older men”, 2008 : lien
- PubMed, “Anticholinergic burden quantified by anticholinergic risk scales and adverse outcomes in older people: a systematic review”, 2015 : lien
- Jeanne Briet, interne Pharmacie, “Coefficient d’Imprégnation Anticholinergique”, 18 septembre 2014 : lien